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Nikita Kalos - Peintures et textes
20 septembre 2016

Mère-Fille

            La mère inquiète regarde sa fille qui va mal. Elle a les yeux éteints et semble ne pas vouloir se réveiller d’une torpeur, d’une tristesse, d’un abattement, et d’une indifférence à tout. La mère tourne autour d’elle comme une toupie et essaie de soupeser le désarroi de sa fille. Comment la faire sortir de cette morne apathie ? Elle sent son propre déséquilibre à travers elle. Elle a peur. Réveille-toi. Elle l’empoigne et la traine de médecin en médecin. Remettez-la debout ! Les yeux mouillés, elle raconte son histoire à elle. La fille est prostrée, éteinte. La mère a peur de la folie.

            Après avoir vu une dizaine de médecins, avalé moultes boîtes de frubiose, sargénor, reconstituants de toutes sortes, purges, vitamines de A à Z, la mère déclara que ces médecins n’y connaissaient rien. Elle allait la retaper, elle. Tous les matins à 5 heures, elle se radinait avec un bol de  lait bouillant dans lequel nageait un jaune d’œuf. La fille avalait cette chose infâme en pensant à Ben Hur, à Jeanne d’Arc, aux héros morts pour la France, se rendormait la conscience en paix, rêvait qu’elle couvait le Mont Valérien, et  que chaque matin tous les habitants pouvaient apercevoir sur sa crête un gros œuf.

            Un mois plus tard, la mère dut avouer tout bas que sa science était insuffisante, un peu plus haut que cela venait peut être des œufs qui n’étaient pas assez frais et qu’elle avait pris un rendez-vous chez un ponte de la remise à n’œuf, le Professeur Akounaschtroumff, qui avait fait des miracles.

            Après quelques questions à la fille auxquelles la mère répondit à sa place, il déclara que la demoiselle n’avait besoin d’aucun médicament mais seulement de changer d’air, qu’elle parte ailleurs, sorte du milieu familial et roule sa bosse dans un lieu bien oxygéné, voir d’autres têtes, rire, s’amuser avec des jeunes de son âge. Il proposa l’Alsace. D’un coup, la fille leva la tête, sortit de son engourdissement et les yeux brillants regarda le docteur. « Oh oui ! l’Alsace ! ». Elle rêvait depuis toujours d’aller dans la région de son père, voir des montagnes, des sapins, des animaux. Elle ne connaissait que la mer.

           La mère se leva d’un bond. Je suis venue pour que vous lui donniez de bons médicaments, pas pour qu’on me sépare d’elle au moment où elle a le plus besoin de moi. Qui s’en occupera comme je m’en occupe ? Qui sera aux petits soins pour elle ? Elle se mit à chanter, les larmes aux yeux, Tino Rossi dans la voix :

            « Quoi de plus doux, de plus tendre,

               Que le cœur d’une maman,

               Qui donc sait mieux vous comprendre,

               Et calmer tous vos tourments ».

            Le Professeur Akounaschtroumff  laissa tomber si fortement sa règle en métal sur son bureau que la mère sursauta et revint illico à la réalité : On allait lui enlever sa fille ! Impitoyable, il lui dit, de se mettre en relation avec l’organisme d’accueil le plus rapidement possible, que la sécurité sociale ne fera aucun problème. Elle faillit avaler sa langue lorsqu’il lui fit payer 100 euros la consultation, la retrouva tout aussi vite pour la même raison et lui demanda : « Tout de même, docteur, un petit médicament ? »  Il lui lança un tel regard qu’elle n’osa plus insister.

           La mère et la fille se retrouvèrent toutes les deux sur le trottoir, l’une toute grise et tremblant de la tête aux pieds, la fille, toute ragaillardie et tremblant d’un souffle nouveau.

            Le Professeur Akounaschtroumff était un faiseur de miracles.

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Commentaires
A
De l'ambiguité de la relation mère fille... de la nécessité de s'affranchir et de se libérer du joug maternel...<br /> <br /> <br /> <br /> Ce texte est très beau Chère Nikita, qu'il doit etre dur d'etre mère... tout comme il est difficile d'etre la mère de sa fille..et de devenir soi, tout simplement;<br /> <br /> <br /> <br /> Mais comment oublier ou rejeter celle qui vous a bercée, soignée, .... ? La nourriture est une arme pour un enfant face à la mère nourricière qui veut gaver son petit....<br /> <br /> <br /> <br /> Mais qu'il est doux de parvenir, parfois , à un équilibre de cette relation originelle et de plonger ses yeux dans l'océan d'amour des yeux de sa mère..; en se disant.... pourvu que je puisse m y noyer encore longtemps.....<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> On n'a QU UNE MAMAN
S
Voici un texte qui résonne , résonne !! Je ne connais rien de plus épouvantable qu'une relation entre mère et fille. Il ne faut surtout pas sortir du rang . Il faut sortir intacte d'un moule pré-fabriqué, celui d'une mère matrice qui dicte, impose à sa progéniture ce qu'elle doit être. <br /> <br /> <br /> <br /> Ô diable le soit disant "amour maternel", étouffant, destructeur et ravageur. Sauve qui peut.Le devoir de résistance s'impose, il faut monter les barricades et ne jamais baisser la garde: question de survie .
D
Magnifique !! Le malade est comme souvent celui qui s'ignore tel. <br /> <br /> <br /> <br /> Et puis intéressant ce rapport à la bouffe qui s'impose comme supplétif, comme instrument de gavage dans une relation sado-masochiste. L'oeuf que cette enfant doit ingurgiter est une manière "intéressante" de lui faire avaler sa naissance et de la placer dans la position d'une poule pondeuse qui doit payer le prix d'un devenir-mère dont elle n'est pas responsable (aucune des deux en vérité) mais l'une paye pour l'autre.<br /> <br /> <br /> <br /> La violence du destin des femmes se joue ici, condamnées bien souvent à être mère sans être sujets de leur désir.<br /> <br /> <br /> <br /> "Je veux ton bien et je l'aurai."<br /> <br /> <br /> <br /> Intéressant aussi ce besoin constant de médicaments, cette foi dans le médicament qui doit sauver mais qui ne sauve jamais, qui doit guérir pour éviter de guérir vraiment.<br /> <br /> <br /> <br /> Intéressante la position du tiers qui libère une parole et une nouvelle possibilité de vie, un espace par lequel l'enfant perçoit une échappatoire, un devenir-sujet.<br /> <br /> <br /> <br /> Bravo donc, un texte vivant et plein de "vérité" en ce qu'il révèle de manière imagée ce qu'est une relation perverse lorsqu'elle ne se joue qu'à deux et que la figure du tiers séparateur fait défaut.<br /> <br /> <br /> <br /> Des textes rares mais quelle qualité !
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